Introduction
Dans cet article, nous verrons les différents choix techniques qui ont été opérés dans la réalisation du plan de la harpe. Plutôt que de donner un plan tout fait sans explications, essayons de montrer comment il a été conçu. Cela vous permettra, de le comprendre et pourquoi pas d’y apporter des modifications, ou bien même de vous aider dans la réalisation de votre propre plan. Je ne prétends pas avoir l’expertise suffisante pour aborder le sujet de la conception d’un plan de harpe avec exhaustivité. Pour le dire en une phrase : il ne s’agit pas de se substituer aux informations que vous pourrez trouver dans des ouvrages de référence sur le sujet, écrits par des luthiers expérimentés, mais bien plutôt d’apporter un éclairage sur la conception de ce plan particulier.
La conception de l’instrument a été pensée pour répondre à plusieurs contraintes :
- Physiques : les cordes répondent aux lois de la physiques : leur longueur, leur diamètre, leur matériau ne sauraient être choisis au hasard. C’est ce qu’on appelle le plan de cordes.
- Structurelles : il doit résister à la traction des cordes (600 à 800kg pour une harpe 36 cordes), sur le long terme.
- Sonores : en dépit de contraintes structurelles fortes, l’instrument doit sonner : présence, projection, tenue des notes (« sustain »), timbre, etc.
- Ergonomiques : Il doit apporter au musicien un confort de jeu (tension, espacement des cordes, poids et taille de l’instrument, etc).
- Esthétiques, bien sûr : la harpe doit être plaisante à regarder pour donner envie d’être jouée.
Tous les choix réalisés ont été guidés par les conseils éclairés se Stéphan Lemoigne, Rick Kemper, Matthias Desmyter, et d’après les explications du livre de Jeremy H Brown « Folk Harp Design and Construction ».
Le plan de cordes
Je ne reviendrai pas ici sur le plan de cordes en détail, vous pourrez trouver toutes les explications théoriques qui s’y rapportent dans cet article : Conception d’une harpe : le plan de cordes.
Voyons plutôt de manière concrète comment il a été réalisé en tant que fondement ou fondation de la conception.
Dans un premier temps, il s’agit de tracer les 36 cordes verticalement sur le plan en respectant l’espacement choisi pour ces dernières. A ce titre, un petit aparté : il n’existe pas d’espacement des cordes standard. C’est pour autant un élément essentiel qui affectera beaucoup le confort de jeu. Vous pouvez prendre les cotes sur un instrument sur lequel vous aimez jouer ou bien vous renseigner sur les valeurs les plus communes. Une chose est sûre, il ne peut être constant du fait que les diamètres des cordes ne sont eux-mêmes pas constants. Dans notre cas voici les valeurs qui ont été retenues :
Les cordes ont donc d’abord été représentées verticalement par des lignes parallèles sur le plan, selon l’espacement choisi, comme très bien expliqué par Jeremy H. Brown.
Vient un nouveau choix fondamental qui permettra de déterminer la longueur de corde vibrante pour chaque corde : l’angle que ces dernières forment avec la table d’harmonie.
Parmi d’autres considérations, il faut retenir que plus l’angle est ouvert, plus la force que devra supporter la table d’harmonie sera grande.
J’ai retenu un angle relativement standard de 35°. la table d’harmonie est représentée sur le plan par un trait qui coupe les cordes selon l’angle choisi.
Taille de l’instrument
Il a fallu choisir dans le même temps une taille de l’instrument, en ayant en tête ces éléments :
- Plus une harpe est grande, plus la tension exercée par les cordes sur l’instrument est forte
- Plus une harpe est grande, plus il est probable que les basses sonnent bien
- Ma fille est grande, même du haut de ses 8 ans !
Angle de l’instrument par rapport au sol
Cet angle est important car il détermine la stabilité de la harpe lorsqu’elle est posée sur le sol. Ici, l’angle fait environ 63°. Je l’ai choisie à partir d’autres plans de harpe. J’espère que la harpe tiendra debout toute seule ! (mais je suis quand même confiant).
Placement de sillets
Une fois cet angle choisi, la « courbe harmonique » qui donnera sa forme principale à la console a pu être tracée en respectant les longueurs de cordes minimum et maximum tel qu’expliqué dans l’article sur le plan de cordes. Le choix du type de cordes (boyau, carbone, nylon…) doit donc en principe être arrêté dès maintenant : les longueurs minimums et maximum en dépendant directement, particulièrement dans les cordes aiguës où l’on ne dispose que de peu de marge de manœuvre. Les longueurs maximum pour les cordes Carbone sont un peu plus petites que pour les cordes Nylon. Cependant, ces valeurs sont tout de même proches et avec un peu de marge, on peut reporter ce choix à plus tard.
La courbe harmonique ainsi tracée permet de placer les sillets (la longueur de corde vibrante ou diapason est définie pour chaque corde par la distance qui sépare son dernier point de contact avec la table d’harmonie et le sillet). Si vous prévoyez d’ajouter un chevalet sur la table d’harmonie, l’épaisseur de ce dernier diminue la longueur de corde vibrante, il faut donc en tenir compte !
Il faut veiller à ne pas avoir une courbe trop prononcée (qui fragiliserait la console).
Placement des chevilles
Une fois les sillets positionnés, j’ai placé avec précision les chevilles d’accord de sorte que l’angle formé par la corde avec le sillet soit d’environ 12.5°. Un angle trop faible aurait pour effet de ne pas bien marquer le diapason. A l’inverse, un angle trop grand fragiliserait les cordes basses, plus sensibles car filées, qui risqueraient de s’abîmer rapidement à cet endroit. J’ai pris le parti d’appliquer un angle identique pour toutes les cordes, mais on trouve souvent des harpes avec un angle plus prononcé dans les aiguës.
La distance entre les sillets et les chevilles varient beaucoup d’un instrument à l’autre. Certains font le choix d’une distance importante, d’autres non, comme Camac, par exemple. J’ai retenu une valeur un peu intermédiaire qui va en augmentant en direction des basses : 20mm pour la corde la plus aiguë jusqu’à 28mm pour la corde la plus grave.
Dessin de la console
Contraintes
J’ai pu ensuite dessiner la forme générale de la console, qui répond elle aussi à certaines contraintes :
- Elle doit être esthétique, ou en tout cas, à son goût
- Mais pas trop fine de façon à être suffisamment solide
- Ménager un espace suffisant pour le positionnement des leviers de demi-tons en dessous des sillets
- Permettre un accès facile aux cordes les plus aiguës.
Choix
J’ai choisi une forme assez prononcée malgré tout (préférence esthétique).
J’ai préféré ne pas flirter avec les valeurs limites d’espace nécessaire à l’installation des palettes de demi-ton (44 mm pour la corde la plus aiguë) en positionnant les sillets et chevilles assez haut sur la console avec un espacement modéré entre les deux (de 20 à 28mm).
J’ai veillé à ce que le trou réalisé pour les chevilles ne soient pas trop près du bord (15.7mm au minimum), allant croissant vers les basses qui tirent plus.
Je ne suis pas descendu en dessous de 75 mm de largeur (74.9 pour être honnête).
J’ai repris des cotes d’instruments et de plans existants pour l’espace disponible avant la première corde aiguë.
Remarque : les diamètres des trous pour les sillets dépendent du plan de cordes : le diamètre des cordes implique d’installer des sillets plus ou moins gros. Trois tailles différentes sont généralement réparties sur l’instrument. Après avoir envoyé les caractéristiques des cordes à Camac, ils m’ont proposé (par l’intermédiaire de Matthias Desmyter) un jeu complet de sillets et leviers de demi tons correspondants (qui varient évidemment eux aussi en fonction du diamètre des cordes).
Choix des essences de bois
Il faut bien entendu des essences de bois dures, à l’exception de la table d’harmonie. On peut utiliser de nombreuses essences comme l’érable, le noyer, le merisier, le frêne etc.
J’ai choisi l’érable pour le pilier et la console : c’est un bois que j’aime bien, il est très stable, facile, beau, solide et pas trop lourd.
J’aime aussi le noyer, également pour son esthétique et sa facilité. Je voulais une caisse avec deux couleurs apporter du contraste à l’instrument sur le plan des couleurs, un choix tout personnel.
Ces deux bois ont des caractéristiques assez opposées sur le plan de la sonorité si l’on en croit leur réputation : l’érable est reconnu pour produire un son brillant et cristallin ; j’ai voulu compenser avec une caisse en Noyer qui est loué pour la rondeur et la chaleur qu’il apporte au son. Je ne sais pas ce qu’il en est réellement, je manque d’expérience en la matière. Une chose est certaine : la contribution la plus grande au timbre de l’instrument est apportée par sa table d’harmonie.
J’en reparlerai plus loin mais j’ai choisi de faire une harpe toute massive (sans utiliser de contreplaqué).
Corps de l’instrument (caisse)
Forme
Il y a trois choix principaux dans la forme de la caisse :
- Arrondie
- Rectangulaire avec un fond deux éclisses (côtés)
- Avec 5 pans ou plus
J’ai choisi une caisse à 5 pans pour deux raisons :
- Plus simple à réaliser techniquement qu’une caisse arrondie ou qu’une caisse à 7 pans. Je me suis arrangé pour que les angles de coupe des pans tombent sur des valeurs simples (22.5°, 90°).
- Plus esthétique qu’une caisse rectangulaire, même si cette dernière est plus simple à réaliser.
Largeur
En haut, l’instrument ne doit pas dépasser 13 cm de largeur. 10 cm est la valeur la plus commune et certains disent même que c’est une valeur à ne pas dépasser comme Rick Kemper (sligoharps.com). Quoi qu’il en soit, une largeur trop grande nuit au confort de jeu du harpiste.
En bas la table pour ce type de harpe mesure entre 30 et 40cm environ.
La conception du plan en 3D a été un peu compliquée pour moi sur cet aspect. Je suis arrivé à 30cm en bas pour 13 cm en haut de l’instrument. C’est une valeur en tout cas a priori acceptable pour le haut de la caisse : Music Makers a réalisé un modèle de harpe avec une largeur de 16cm en haut de caisse.
Épaisseur des éclisses
Généralement de 6 à 7mm pour ce type d’instrument, j’ai choisi 6mm avec en contrepartie l’ajout de renforts plus importants.
La table d’harmonie
Il y a principalement deux choix possibles pour le matériau :
- L’épicéa (ou une alternative proche : le red cedar) massif
- le contreplaqué aviation.
J’ai choisi une table massive en épicéa pour les raisons suivantes :
- Esthétiques
- Acoustiques (même si ce débat n’est pas clos et que d’aucuns trouvent le son des tables en multi-plis tout à fait bon, voir pour cela le livre de Jeremy H. Brown).
- Par pur conservatisme
- Pour travailler avec du vrai bois !
Il va sans dire que ce choix implique plus de travail.
J’ai choisi d’ajouter deux barres harmoniques sous la table d’harmonie comme me la conseillé Stephan Lemoinge. Leur fonction est principalement de faciliter la transmission des vibrations. Elles sont en épicéa.
Concernant les épaisseurs de la table, je me suis référé à la littérature existante avec 8mm d’épaisseur dans les basses et près de trois millimètres au niveau des aiguës. De même, la table sera affinée en direction des côtés de la caisse (pas de valeur précise définie pour l’instant).
Le chevalet
J’ai choisi d’ajouter un chevalet à la table d’harmonie pour deux raisons :
- La première est d’ordre structurel : il renforce la table sur toute sa longueur en son centre, où la traction des cordes est la plus forte et il s’appuie sur le pilier pour limiter les risques d’arrachement de la table d’harmonie à cet endroit
- Esthétique
Il a une épaisseur constante de 6mm, et une largeur allant de 22mm à 30mm de haut en bas.
Le contre-chevalet
Il est positionné sous la table d’harmonie, exactement sous le chevalet et apporte un renfort indispensable à la table d’harmonie. Son épaisseur va croissante en direction des basses (5mm en haut et 12mm en bas). Il a exactement la même largeur que le chevalet (22mm en haut et 30mm en bas). Il sera en noyer, comme le chevalet.
Les renforts
Il ne faut pas le cacher, c’est la partie la plus « pifométrique » du plan. J’ai tout de même recueilli plusieurs avis de luthiers expérimentés, beaucoup hésité, et pris finalement les arbitrages décrits ici.
Je vais distinguer plusieurs renforts :
- Ceux qui sont positionnés dans les angles de la caisse, que j’appelle « renforts » sur le plan
- Ceux qui sont positionnés perpendiculairement à la caisse que j’appelle « renforts caisse » sur le plan
- Les contre éclisses
Les renforts situés aux angles de jonction des éclisses
Tels que je les ai dessinés, il ne seront pas faciles à réaliser. Il se peut que je revienne sur cette décision. Ils sont en effet plus larges à leur base qu’en haut de la caisse. Il seront en érable ou frêne.
Les renforts de caisse
Ces pièces ne sont pas présentes sur toutes les harpes, mais pour une harpe de 36 cordes, de grande taille qui plus est, j’ai préféré ne pas prendre de risques et en ai ajouté deux. Ils sont assez imposants et je craignais de trop cloisonner la caisse de résonance. J’ai beaucoup hésité sur ce choix, mais Matthias Desmyter de L’unisson m’a convaincu de les ajouter. Sur les harpes Camac, on trouve des renforts plus simples sous forme de petite arches en contreplaqué. Je n’ai pas opté pour ce design dans la mesure ou je souhaite les faire en bois massif (érable).
Les contre-éclisses
Je les ai faites assez épaisses (8mm en haut, 12mm en bas) et larges (environ 20mm en haut et 50mm en bas). Elles permettent de rigidifier les éclisses et d’élargir la surface de collage de la table d’harmonie, zone beaucoup sollicitée par la traction des cordes. Elles seront en érable.
Les ouïes
Contrairement à la guitare classique où la taille de l’ouïe ne varie que très peu d’un instrument à l’autre, il n’y a pas de règles pour les harpes celtiques.
Elles doivent être placée de telle sorte que les renforts de caisse ne soient pas visibles.
Elle permettent à la fois de diffuser le son et de laisser un accès libre pour l’installation des cordes ainsi que pour les têtes du tréfonds de fixation de la console sur le « chapeau » (et éventuellement du pilier sur la base, si ce dernier n’est pas fixé à l’extérieur de la caisse comme c’est le cas pour cette harpe).
Le pilier et la console
Ils seront tous les deux en bois massif, mais constitués de trois plis de 15mm (épaisseur totale de 45mm).
Les harpes du commerce ont souvent une console en contreplaqué pour des raisons économiques probablement, mais surtout de stabilité et de solidité
L’utilisation de trois plis me paraît un bon compromis : à la fois plus esthétique que le contreplaqué dont le chant n’est pas très joli ; et suffisamment solide (une seule épaisseur de bois massif ne manquerait pas de fendre avec le temps).
Sur une harpe – on ne le voit pas forcément tout de suite – le pilier et la console ne sont pas verticaux : Ils sont penchés pour que les cordes ne touchent pas le bas de la console. On le voit très bien sur cette illustration :
L’angle formé n’est pas déterminé avec précision, j’ai simplement aligné la face de la console côté cordes avec l’axe central du « chapeau » de la caisse, comme le fait Stephan Lemoigne. Le bas du pilier, lui, est centré sur la base.
Une chose importante : il faut veiller à ce que les cordes basses aient suffisamment d’espace pour vibrer et ne viennent pas toucher le pilier. Cela aurait pour effet de produire un son très désagréable. Le pilier réalisé ici est suffisamment avancé par rapport aux cordes pour ne pas avoir ce problème.
Camac creuse légèrement le haut du pilier de ses harpes et le positionne légèrement en retrait par rapport à la console pour y remédier :
La jonction pilier / console
Il faut remarquer que les cordes tirent toutes du même côté de la console (et non pas au milieu comme sur les harpes sud-américaines). Cela engendre de très fortes contraintes sur l’ensemble « Console / Pilier ». La jonction entre les deux pièces doit être particulièrement robuste. De nombreuses stratégies sont possibles et présentées dans le livre de Jeremy H. Brown.
J’ai choisi cette approche qui semble aussi avoir sa préférence :
La jonction console / haut de caisse
Jeremy H. Brown préconise – très fortement – de ne pas coller le pilier à la caisse. C’est effectivement un élément important pour les éventuelles réparations futures que l’instrument pourrait avoir à subir. Il propose un ingénieux système qui résout aussi les problèmes d’ajustement délicat, de jour qui apparaît avec la traction des cordes, et où la tension seule des cordes fait tenir l’ensemble en place.
Je ne détaillerai pas ici son procédé, très bien expliqué dans son livre, mais dont on peut se faire une idée précise en regardant des images de harpes produites par Music Makers. Si ingénieux soit-il, je ne trouve pas ce système particulièrement esthétique (une affaire de goût, certainement).
Sur les conseils de Stephan, j’ai choisi une approche traditionnelle avec une fixation par tréfond (grosse vis) et comme Jeremy H Brown, sans colle.
L’épaulement
Pour que la console résiste à la traction des cordes et ne bascule pas, on ajoute un épaulement qui permet également de rendre à la harpe un aspect plus symétrique malgré son pilier penché. Ici, le luthier peut laisser libre court à son imagination.
J’ai essayé de le dessiner en 3D, mais il n’aura probablement pas grand chose à voir avec celui de l’instrument fini, nous verrons bien !
La jonction pilier / table
Traditionnellement, sur les harpes celtiques, le pilier traverse la table d’harmonie et est fixé à l’intérieur de la caisse sur la base interne du bas de la caisse. Parfois, il ne traverse pas la table d’harmonie. L’idée de le faire traversant répond à la préoccupation de ne pas brider la table et de la faire sonner au maximum.
Ici, nous avons choisi une autre approche, plus ressemblante à ce qui se fait sur les harpes classiques (mais qu’on trouve aussi un peu moins souvent sur les harpes celtiques). Le pilier est entièrement indépendant de la table et repose sur la base externe de la caisse. Cela impose d’avoir une base externe très solide car une grande partie de la force est reportée à cet endroit. Elle sera certainement faite en plusieurs plis pour cela.
Conclusion
J’espère avoir brossé un panorama suffisamment complet. Je tiens une nouvelle fois à remercier tous ceux qui me sont venus en aide pour la réalisation de ce plan. N’hésitez pas à laisser vos commentaires pour y apporter vos critiques et remarques.
A bientôt pour la réalisation !
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